Confinement à Échirolles relecture

La communauté des Petites Sœurs de l’Ouvrier d’Échirolles partage ce qu’elle a vécu durant le confinement.

1/ Le vécu du confinement.

Depuis le début de l’année, nous étions de plus en plus exacerbées par les informations autour du Covid 19, et nous ne réalisions nullement que ce virus allait prendre une telle proportion.  L’annonce de la fermeture des écoles, le 13 mars pour le 16, nous a bousculées alors que le 1er tour des Municipales était maintenu, certes avec des consignes à respecter ! Et quand le lundi soir, tombe l’annonce pour un confinement de 15 jours dès le lendemain à 12h, c’est le choc. Nous sommes devant une décision irrévocable, avec une question : qui a été consulté ???

Spontanément, déception. Les rendez-vous médicaux sont supprimés, et certains, même s’il n’y avait pas urgence, étaient importants. Puis, rapidement, l’impression d’être inutiles nous a habitées. Plus d’engagements, comment vivre la solidarité ?

Mais comme l’exprimait l’une d’entre nous : « C’est la réalité, on ne peut qu’encaisser, et ce sera plus dur à assumer si nous râlons et nous ne l’acceptons pas !  Et, puis, c’est un acte citoyen. Vivons-le en communion avec tous nos concitoyens, et même au-delà de nos frontières ! »

Les informations du Journal télévisé sont plus que désespérantes avec l’annonce quotidienne du nombre de décès, toujours en hausse, en précisant que les décès en EHPAD ne sont pas comptabilisés… Nous savons que les services des Urgences sont de plus en plus débordés, qu’ils manquent des masques, des respirateurs, … En même temps, nous ne pouvons pas oublier le combat des urgentistes dénonçant les conditions de travail, tout spécialement, aux Urgences, le manque de personnel, de matériel, quasi durant 8 mois, et il y a quinze jours encore. Notre gouvernement a été sourd aux cris des soignants. Et maintenant, c’est l’horreur avec ce virus présent désormais en France. La situation est dramatique pour les soignants et les malades… Nous commençons à réaliser que c’est plus que sérieux.

En communauté, nous décidons, tout de suite, de téléphoner, une fois par semaine, aux communautés PSO, à des amis, et tout spécialement ceux qui sont seuls. Il nous est important de signifier notre présence et notre communion aux uns et aux autres.

Rapidement, des textes, des prières circulent via Internet dont la « Lettre d’Ignace de Loyola en temps de coronavirus : « Obéissez aux médecins, aux scientifiques et aux autorités comme si c’était Dieu lui-même… » ou « … La peur ne vient jamais de Dieu et ne mène pas à lui… »

A notre grande joie, sans tarder, certains journaux nous apprennent tout ce qui se naît, se vit comme solidarité, chez des jeunes, chez des commerçants qui ont dû fermer et continuent à travailler pour fabriquer des plats pour les soignants. Des entreprises changent de production pour confectionner des masques, des respirateurs, …
Nous sommes témoins d’attentions toutes simples comme les applaudissements pour les soignants le soir à 20h, la lettre des aumôniers aux détenus de la Maison d’Arrêt de Varces, l’initiative des visioconférences, une photo envoyée tous les matins aux marcheurs d’une association proposant des randonnées, etc.

Nous cueillons aussi tout ce qui se vit dans notre pays comme don de soi par tous ceux et celles qui se proposent « bénévoles » (retraités de la santé, étudiants, jeunes…).

Notre communauté sera appelée comme toutes les personnes « fragiles et vulnérables » de la ville, durant au moins un mois, une fois, voire deux fois dans la semaine pour vérifier que toutes les trois nous allons bien.

Notre société s’habille de Solidarité, d’Humanité ! Bonheur !

Très vite, la communauté est ébranlée par le virus qui atteint des proches.

Nos sœurs italiennes devant vivre leur Chapitre subissent rapidement des décès de sœurs… Leurs communautés d’Italie sont toutes présentes en Lombardie, et les hôpitaux ne peuvent plus recevoir de malades…

En fin de première semaine de confinement, le 21 mars, c’est l’annonce à 17h par un neveu d’Odile que leur père est aux Urgences à St Lô en détresse respiratoire et il sera sûrement rapidement mis en coma artificiel. BOUM… Immédiatement, la communauté doit réagir. Marie-Th était partie avec eux, en Normandie. Il faut, tout de suite, prévenir le « 15 ». Confinement de Marie-Th dans sa chambre, durant 15 jours : « Pas facile, et en même temps, mon souci était de ne pas contaminer Denise et Odile ». Et, c’est le début de 3 semaines d’angoisse où le diagnostic vital est engagé pour le beau-frère.

Tout s’enchaîne. Dès le dimanche soir, s’ajoute que Monique, notre Responsable Générale, partie se reposer, n’est pas bien du tout. Grâce au réseau d’amis, elle pourra être hospitalisée rapidement. Elle aussi est atteinte du Covid 19. Elle ne restera qu’une semaine à l’hôpital pour rentrer à la maison, sans délai, avec le risque de transmettre le virus à ses deux sœurs dont une de 87 ans…

Et, il s’y ajoute le neveu de Denise, lui aussi, confiné avec une très forte fièvre…

Une angoisse chasse l’autre. Une communion naît, spontanément, avec ceux et celles qui vivent le même désarroi ! Oui, « Cela n’arrive pas qu’aux autres… » … Et, tout aussi rapidement, se crée une chaîne de solidarité incroyable ! Et, tout cela en plein Carême… pas la peine de chercher comment mieux servir le Seigneur ! Accueillir la réalité, vivre cette démaîtrise de l’avenir, s’en remettre au Seigneur, quel Combat pour laisser s’installer la Parole : « Moi, je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la fin du monde ». Matt 28, 20.

Fin avril, des appels pour confectionner des masques viennent nous vivifier !

Le Président de l’association du quartier du Gâtinais demande à Marie-Th si, avec d’autres personnes du quartier, elles peuvent assurer la confection de masques, selon le souhait de la Municipalité. Le matériel est fourni. Et, sur une semaine, elles en réaliseront une centaine.

Quant à Odile, c’est une copine de la Maison Des Habitants qui lui propose de rejoindre la toute petite équipe qui confectionne des masques : « il ne faut pas être nombreux pour respecter les gestes-barrière, mais on a besoin de personnes… ». Toutes deux seront « petites mains » ! Ce qui nous réjouit c’est que, pour toutes ces « ouvrières-bénévoles, c’est d’abord un geste de solidarité « si cela peut sauver des vies ». Et en même temps, « c’est un moment pour souffler sans les petits enfants, cela repose un peu », « Cela me fait du bien de sortir, de rencontrer des personnes. J’ai bien mon mari, mais à force, on ne sais plus quoi se dire ».

2/ Notre relecture.

Ce confinement n’a pas été un temps normal de pause. Nous nous sommes senties fatiguées, sans goût vraiment à lire, ranger des affaires, profiter pour des grands ménages de printemps… Nous avons vécu tout à fait différemment que lorsque nous sommes en vacances en restant à la maison.

Certes, nous pouvions prendre l’air une heure, saisir cette occasion pour échanger quelques mots avec l’homme d’entretien de la tour, le facteur, de même avec la caissière, le vendeur, en allant en courses, mais, il y a d’autres clients qui attendent ! Pas question de s’attarder.

Ces relations nourrissent notre quotidien. C’est un manque, une ascèse, d’en être privées. « J’accepte le confinement pour sauver des vies. Il me coupe des activités habituelles : l’apprentissage du français, le tribunal, le catéchuménat. C’est long une journée sans rencontres hors communauté. La vie d’une personne n’a pas de prix ». « Lorsque nous ne sortons plus, les échanges au repas la prière communautaire sont nettement plus arides, pauvres… Certes, on se rabat à redire les mêmes choses, ou à se rappeler le passé » !

Heureusement, grâce aux moyens d’aujourd’hui, téléphone, mail, SMS, nous avons accueilli de belles « perles » d’humanité, de solidarité.

Cependant, en tant que communauté religieuse, nous sommes des « privilégiées ». Nous n’avons pas d’enfants, l’appartement est grand. Toutes les trois, nous sommes à la retraite, donc sans télétravail. Dans nos cités, combien de familles sont entassées avec enfants, plusieurs adultes, notamment les familles venues d’ailleurs ? Nous entendons aussi telle ou telle personne nous dire : « mes enfants sont en télétravail, et doivent en même temps assurer l’école à la maison, et quand ce sont des petits, cela est encore plus casse-tête. Et je n’ai pas le droit d’aller les chercher, ils habitent trop loin » !

Crise déstabilisante… Que croire, qui croire afin d’être informées au mieux ?  Au début du confinement, alors qu’il y avait eu alerte sur le manque de masques pour les soignants, l’affirmation de l’inutilité d’en porter nous a mis dans le doute, déjà amorcé depuis des années, sur ce qui était vrai, faux, dans ce qu’affirment les Médias. 

Nous avons aussi été consternées de nous sentir traiter comme des enfants : « si vous ne respectez pas les consignes, on reconfinera » … le bâton !!!

Très vite, nous avons souhaité pouvoir suivre des Eucharisties à la télévision, ainsi que les offices de la Semaine Sainte. Au début, nous nous sentions « consommatrices », pas très à l’aise. Peu à peu, nous réalisions que nous étions en communion, déjà avec les personnes de la Paroisse qui n’étaient pas branchées sur Facebook, ni WhatsApp, ainsi qu’avec tout un peuple, une Communauté très large : les personnes malades, celles qui ont de la difficulté à se déplacer, tout un monde de confinés, …Cela nous a apporté du Sens ! Nous avons apprécié les homélies nourrissantes ainsi que les verbes qui nous étaient proposés pour vivre notre semaine : résister, faire confiance, supporter, contempler, …

Quelques paroles personnelles :

« Il m’a fallu accueillir que j’étais désormais dans la catégorie des personnes fragiles, vulnérables, ce qui a signifié accepter de ne pouvoir rendre service. Cela m’a décapée alors que je me sens en forme. Tout récemment, le gouvernement tenait à reculer l’âge de la retraite, donc sans problèmes faire travailler plus longtemps des personnes de plus de 65 ans, aujourd’hui, il les étiquettes de « vulnérables » ?  Il ose affirmer ‘’Il nous faut prendre soin de nos aînées’’. Quelle contradiction ! A quelle parole, je peux me fier ? ».

« Aujourd’hui, je n’ai plus goût à croiser du monde. J’éprouve un besoin de fuir. Cela ne colle pas si je commence d’avoir peur les uns des autres par peur d’attraper le virus ».

« Dépouillement aussi avec l’hospitalisation de Monique : une communauté qui aurait besoin d’aide, et nous sommes là, impuissantes, ne pouvant nous déplacer. Mon seul soutien a été de leur dire : « Vous pouvez m’appeler n’importe quand, quand vous en avez besoin. Surtout n’hésitez pas. »

Notre FORCE.

« Il ne nous restait que la prière, tout remettre à Dieu-Père qui n’abandonne pas ses enfants. Il est à la fois le roc sur lequel nous pouvons nous appuyer et le puits d’amour toujours prêt à nous écouter déposer notre misère, nous redonnant force et courage pour continuer la route. Il est le créateur de la vie. Il nous mène toujours vers elle quoi qu’il arrive. Sa joie, c’est l’homme vivant. Pendant le temps de prière, il y a des textes qui m’ont paru neufs comme celui de Pâques (évangile de Jean du matin) ou les Actes des apôtres ».

« La prière, cela m’a été dure, difficile. La Parole, elle me parle à travers ce qui se vit avec les autres. C’est décapant. J’ai davantage prié avec les psaumes. Je me suis laissée interpeller par la paix et la joie, et par une Parole « Vous n’appartenez pas au mondePar contre, j’ai beaucoup prié pour la congrégation.»

« Dans cette épreuve, ma « bouée », mon « assise », c’était de m’enraciner dans le Seigneur et de m’appuyer sur sa Parole qui est « Vie ». Il est le Dieu de la Vie, pas de la mort… Il nous désire vivant, même s’il ne peut empêcher la mort. Mais en Lui, avec Lui, un Chemin de Vie est… Ce Dieu de l’Alliance ne peut m’abandonner. « Voici l’Alliance que je fais avec toi… J’établirais mon alliance avec toi et moi… » cf La Genèse 17,3-9.

Ce fut une invitation permanente à la Confiance dans le Seigneur, sans preuve, sans mesure, et à la démaîtrise ! Que prévoir, quand pourrons-nous reprendre nos différents engagements, envisager de partir en vacances, vivre notre retraite, etc. ? Du jour au lendemain, nous faisons l’expérience que nous ne pouvons plus faire de projets. Il nous est demandé d’accueillir le réel, une vraie dimension de la pauvreté ! »

« J’ai été profondément touchée du soutien d’amies, de leurs paroles pour me convaincre qu’elles nous soutenaient par la prière… Leur foi, leur prière, m’ont apporté la Paix. Je pouvais compter sur elles, et cela m’apaisait. Et je n’ai pas senti qu’elle voyait le Seigneur comme un Père Noël, mais on pouvait s’appuyer sur Lui ».

Dans ce marasme, une belle Consolation !

Depuis la fin du Chapitre, nous sommes suivies par le Dicastère de la Vie consacrée, Service qui veille sur les congrégations religieuses de par le Monde. C’est en plein confinement que Monique nous a partagé leur courrier du 15 avril 2020, réponse, touchante, affectueuse, respectueuse, « pascale : « Votre humble présence dans les quartiers défavorisés ainsi que votre disponibilité à accueillir les appels de l’Esprit Saint ne manqueront pas de porter du fruit. Nous vous prions de bien vouloir partager à vos sœurs toute notre estime et nos encouragements à poursuivre votre chemin à la suite du Christ selon le charisme propre à votre Institut… »

3/ Des questions

  • Cette pandémie a et aura des conséquences énormes pour l’Économie. On ne peut quand même pas oublier que, si le Gouvernement avait été à l’écoute du cri des soignants, n’avait pas laissé à l’abandon l’Hôpital public, cette pandémie aurait pu être contrôlée autrement ? Les Urgences criaient « au secours » depuis des mois… Cette catastrophe demande profondément un changement de politique. « La santé est un bien commun ».
  • On sent une aspiration à ne pas reprendre le rythme d’avant …

Mais, concrètement, le Gouvernement donne priorité à la reprise économique, au « politique-pouvoir » en évoquant la possibilité d’un 2ème tour des Municipales, fin juin… Quelle leçon a été tirée du premier tour avec une énorme abstention… Quelle Démocratie alors si nos Représentants sont élus, avec 10 % des voix de la population pour certaines villes ? De nombreuses personnes ont tenu les bureaux de vote et ont été contaminées, même avec les gestes-barrière. Plusieurs y ont laissé leur vie…

Nous avons entendu le ministre de l’Économie dire : « les français ont trop mis d’argent sur leur compte… pour redémarrer l’Économie, il faut consommer ou investir »…. !!!!!!

Un espoir : il semble que le Personnel des Urgences et Réanimation soit encore plus mobilisé pour réclamer des moyens avant une nouvelle catastrophe.

Et, comment nous, citoyens, pouvons être acteurs avec nos mouvements ?

  • Le Vivre ensemble? Aujourd’hui, nous sommes dans un courant qui développe « la peur de l’autre… surtout qu’il ne me contamine pas… »

Sans doute, faut-il développer le télétravail qui peut être bien pour la planète, la pollution diminuant, réduire les déplacements avec les visioconférences, ou conférences-téléphoniques, ou se déplacer avec d’autres moyens comme le vélo, etc. ?

Là aussi, il nous faut inventer, recréer des lieux de rencontres. Nous avons besoin de rencontrer les autres. C’est une aspiration que nous avons souvent entendue.

  • L’école à la maison… Dans nos cités, quelles sont les familles qui ont pu suivre la scolarité, expliquer ce que l’enfant n’a pas compris… Les Médias n’ont pas soulevé ce problème. Quatre mois sans cours, comment les enfants, les étudiants, vont rattraper ces 4 mois si les programmes ne sont pas complètement revus et adaptés ? Pour l’instant, nous n’entendons rien ?
  • En Église ?

« Aujourd’hui, le Christ frappe de l’intérieur de l’église et veut sortir » …

Comment passer d’une pratique centrée sur d’abord les sacrements au service des frères par une vie « ajustée » au Seigneur » grâce à la Parole méditée, « ruminée », la révision de vie, la relecture ?

Et pour la Vie religieuse ? A quel(s) déplacement(s) sommes- nous invitées ?

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